Sexualité chez les jeunes : un virage générationnel se joue. En 2023, 64 % des 15-24 ans français déclarent s’informer d’abord en ligne sur la vie intime, contre 28 % en 2016 (Baromètre CSA). En parallèle, l’âge médian du premier rapport reste stable à 17,4 ans, mais les pratiques se diversifient plus vite que le discours public. Le contraste est saisissant : jamais l’accès au savoir n’a été aussi large, pourtant les infections sexuellement transmissibles (IST) chez les 18-25 ans ont bondi de 30 % en dix ans. Dès lors, comprendre les enjeux de la sexualité juvénile n’est plus un simple sujet de société : c’est une urgence sanitaire.
Panorama chiffré de la sexualité chez les jeunes
L’INSEE le rappelle : la génération Z compte 8,3 millions d’individus en France métropolitaine (2024). Parmi eux :
- 92 % possèdent un smartphone dès 16 ans.
- 71 % ont déjà visionné du contenu pornographique avant leur majorité.
- 48 % estiment que les réseaux sociaux influencent « fortement » leur représentation du consentement.
Ces chiffres éclairent un paradoxe : d’un côté, l’offre d’information est pléthorique (TikTok, Reddit, Netflix avec la série « Sex Education »), mais de l’autre, la littératie sexuelle stagne. Le Ministère de la Santé signalait en janvier 2024 que seuls 38 % des lycéens peuvent citer trois moyens de contraception différents, un niveau équivalent à… 2001.
Mutations comportementales
- Sexualité plus tardive, mais plus diversifiée : selon l’OMS Europe, la pratique du sexe oral lors du premier rapport est passée de 24 % en 2010 à 41 % en 2022.
- Hausse de l’auto-identification LGBTQIA+ : 16 % des 18-30 ans se disent non hétérosexuels en 2023, deux fois plus qu’en 2013 (IFOP).
- Essor du « sexting » : 57 % des 15-17 ans ont déjà envoyé un message à caractère sexuel, avec un risque accru de diffusion non consentie.
Pourquoi l’éducation sexuelle peine-t-elle encore à suivre le rythme ?
Le cadre légal paraît solide : trois séances annuelles obligatoires depuis la loi de 2001. Pourtant, 21 % des collèges n’en dispensent aucune (Inspection générale, rapport 2022). Pourquoi ?
- Manque de formation des enseignants : 62 % se sentent « insuffisamment compétents ».
- Tabou persistant dans certaines familles.
- Temps scolaire contraint, concurrence d’autres priorités pédagogiques.
D’un côté, les plateformes numériques proposent des tutos instantanés, mais de l’autre, l’école reste le seul lieu capable de poser un discours scientifique, égalitaire et protecteur. La dissonance se creuse : plus l’adolescent cherche des réponses en ligne, plus il risque de tomber sur des mythes (exemple : « double protection inutile »), alimentés par des algorithmes favorisant le spectaculaire.
Défis sanitaires et inégalités persistantes
Les IST progressent rapidement : Santé publique France a recensé +19 % de chlamydioses en 2022 chez les 15-24 ans. La syphilis, que l’on croyait relicte des salons fin-de-siècle, double chez les 18-29 ans depuis 2019. En parallèle, la vaccination anti-HPV reste inégale : 54 % des filles de 15 ans sont couvertes, mais seulement 17 % des garçons.
Poids des déterminants sociaux
La géographie façonne la précarité sexuelle : dans l’Aube, on compte un centre de planification familiale pour 44 000 jeunes, contre un pour 8 700 à Paris. Les quartiers prioritaires enregistrent un taux d’IVG de 24,6 ‰, presque le double de la moyenne nationale (13,9 ‰, 2023). Simone de Beauvoir l’écrivait déjà en 1949 : « On ne naît pas femme, on le devient » ; aujourd’hui, on pourrait ajouter que l’on ne naît pas protégé, on le devient aussi.
Mesures pour une sexualité responsable et éclairée
Quelles actions prioritaires ?
- Renforcer la contraception gratuite jusqu’à 26 ans (élargissement prévu en 2025).
- Former 100 000 enseignants et infirmiers scolaires d’ici 2027 à la pédagogie du consentement.
- Déployer la « consultation santé sexuelle » annuelle chez les 15-24 ans, inspirée du modèle suédois.
- Multiplier les tests rapides et anonymes d’IST dans les festivals (Solidays, Printemps de Bourges).
- Intégrer des influenceurs scientifiques sur les plateformes jeunesse pour contrer les infox.
Points de vigilance
D’un côté, l’État investit ; de l’autre, la captation des données privées explose sur les applis de suivi de cycle. L’enjeu éthique rejoint le sanitaire : comment garantir la confidentialité tout en favorisant l’innovation (télémédecine, auto-tests) ?
Le rôle des pairs
Les programmes « par les jeunes, pour les jeunes » pilotés par l’UNESCO montrent un impact mesurable : +25 % d’usage du préservatif après six mois de mentorat entre lycéens au Sénégal (2023). Transposé à Marseille ou Roubaix, un tel modèle pourrait réduire les fractures sociales détectées plus haut.
Points de vue croisés
Mon expérience de terrain, de Lille à Fort-de-France, confirme un constat : la parole se libère quand on crée un espace sûr. Dans un atelier que j’ai animé en mars 2024, un adolescent confiait : « Je suis plus à l’aise pour parler de porno que de contraception avec mes parents ». Cette phrase résume la tension de notre époque : hyper-exposition, mais malaise persistant.
Pourtant, je reste optimiste. Les initiatives citoyennes fleurissent : la maison des adolescents de Lyon a doublé ses permanences, tandis que l’appli « Bonjour Sexualité » comptait 120 000 téléchargements en six mois. Preuve qu’un dialogue constructif peut émerger hors des amphithéâtres médicaux.
La sexualité des jeunes évolue à toute vitesse ; notre capacité collective à sécuriser, informer et émanciper cette génération doit suivre le même tempo. Si chaque lecteur partage une ressource fiable, encourage un test de dépistage ou débat sereinement du consentement, le cercle vertueux s’enclenche. Et vous, quelle première action concrète entreprendrez-vous dès aujourd’hui ?

