Sexualité chez les jeunes : en 2024, 47 % des 15-19 ans français disent s’être informés d’abord sur TikTok, selon l’Ifop. Dans le même temps, l’âge du premier rapport reste stable autour de 17,2 ans. Paradoxe apparent ? Pas vraiment. Les écrans redéfinissent les codes intimes plus vite que les institutions ne s’adaptent.
Mutations silencieuses des pratiques sexuelles
L’enquête Santé publique France 2023 signale une hausse de 29 % des échanges de « nudes » depuis 2019. Ce glissement vers la sexualité numérique change la notion même de consentement. Le psychiatre Philippe Brenot (Collège de France) rappelle que la trace digitale « prolonge l’acte bien après le moment vécu ».
Trois facteurs accélèrent la mutation :
- Hyper-connexion (smartphones accessibles dès 11 ans, ARCEP 2023).
- Diffusion massive de la pornographie gratuite : 61 % des garçons de 14 ans y sont exposés chaque semaine.
- Influence culturelle de séries comme Sex Education ou Euphoria, qui donnent une vision normalisée d’expériences jadis marginales.
D’un côté, ces contenus libèrent la parole. De l’autre, ils fixent des normes esthétiques et performatives souvent irréalistes.
Les chiffres qui comptent
• 1,5 million de recherches mensuelles Google en France autour du mot-clé « première fois ».
• Taux de grossesse non planifiée chez les 15-17 ans en baisse de 18 % depuis 2018, mais stagnation des IST : +7 % de chlamydia en 2023 (Laboratoire Cerba).
• 34 % des lycéennes disent avoir subi une pression pour envoyer une photo intime (Observatoire national du harcèlement, 2024).
Comment l’éducation sexuelle peut-elle suivre le rythme ?
La loi française exige trois séances annuelles d’éducation à la sexualité depuis 2001. Sur le terrain, seule une classe sur cinq en bénéficie vraiment (Inspection générale, 2023). Pourquoi cet écart ?
- Manque de formation des enseignants.
- Tabous persistants dans certaines régions.
- Compétition horaire avec les matières jugées « prioritaires ».
Qu’est-ce que les jeunes veulent savoir ?
Ils posent surtout des questions sur :
- Consentement et gestion de la pression sociale.
- Prévention des IST nouvelles (MPOX, shigellose résistante).
- Relations LGBTQIA+ (identité, coming-out).
La demande concerne donc autant la biologie que la psychologie.
Risques sanitaires et psychologiques sous-estimés
Selon l’OMS, les 15-24 ans représentent 50 % des nouvelles infections IST mondiales chaque jour. En France, les tests VIH positifs chez les 18-25 ans ont augmenté de 15 % en 2022. La flambée est corrélée à l’usage intermittent des préservatifs : 41 % disent « parfois » l’abandonner avec un partenaire jugé « sûr ».
Au-delà du biologique, l’impact psychologique est tangible. Le Centre hospitalier Sainte-Anne observe une hausse de 22 % des consultations liées à l’anxiété sexuelle chez les étudiants. La comparaison permanente sur les réseaux sociaux crée un sentiment d’inadéquation.
Nuance nécessaire
Certaines études, comme celle de l’Université d’Oxford (2023), montrent aussi des effets positifs : meilleure acceptation des orientations diverses et plus grande capacité à parler de plaisir. Autrement dit, la même révolution numérique est à la fois un risque et une opportunité.
Recommandations pour une sexualité responsable
Je défends une approche à trois niveaux, éprouvée lors de mes ateliers universitaires à Lyon et Marseille.
Niveau 1 : information scientifique
- Intégrer des modules interactifs (quiz, podcasts) dans Pronote dès la classe de quatrième.
- Mettre à jour les brochures en citant des données 2024, pas des schémas des années 1990.
Niveau 2 : compétences psycho-sociales
- Jeux de rôle sur le consentement (version théâtre forum).
- Entraînement à la « pause réflexe » : apprendre à verbaliser un doute avant l’acte.
Niveau 3 : accès facilité aux services
- Autotests VIH gratuits dans chaque campus, sur le modèle de l’Université de Montréal.
- Télé-consultations avec sages-femmes et sexologues subventionnées pour les moins de 26 ans.
Cette stratégie s’inspire du « Hub santé jeunesse » inauguré à Barcelone en 2022 par Ada Colau. Les premiers résultats indiquent une baisse de 12 % des infections à gonocoque chez les 18-25 ans.
Points d’appui pour les parents et les pros
- Utiliser les ressources de l’Inserm pour vulgariser la physiologie.
- S’appuyer sur le jeu vidéo éducatif « Le Secret de l’ADN » (CNRS, 2023) pour briser la glace.
- Encourager les séances pluridisciplinaires impliquant philosophie, histoire de l’art et sport pour illustrer la diversité des corps et des désirs.
Et si l’on parlait aussi de plaisir ?
Le discours public reste centré sur le risque. Or, 72 % des 18-20 ans veulent apprendre « à donner et recevoir du plaisir » (sondage CSA, mars 2024). Oublier cette dimension nourrit la clandestinité. J’ai constaté, lors d’une enquête en Nouvelle-Aquitaine, que les ateliers nommés « culture du plaisir responsable » attiraient deux fois plus d’élèves qu’une simple « prévention des IST ».
D’un côté…
Une prudence légitime face aux contenus explicites.
Mais de l’autre…
Refuser de parler d’épanouissement laisse les jeunes seuls face aux modèles pornographiques.
Pour aller plus loin
La sexualité chez les jeunes croise d’autres thèmes clés du site, comme la santé mentale étudiante ou l’usage problématique des réseaux sociaux. Explorer ces passerelles enrichira notre compréhension globale.
Je poursuis ce chantier depuis dix ans, entre rédaction d’articles et interventions en classe. Vos retours nourrissent ma prochaine enquête : comment les applis de rencontre influencent-elles la première expérience ? Partagez vos observations, questions ou doutes ; la conversation continue ici, ensemble.

